Douve de foudre (en triptyque)
Pour l’artiste, ce bois avait déjà une histoire qui lui plaisait bien. Ce sont des planches épaisses provenant de ces tonneaux géants au nom magique (les foudres). Un artisan a donc jadis travaillé ce bois, et l’objet construit a servi à un autre artisan (le viticulteur).
Quand le sculpteur choisit ces planches (1) légèrement courbes pour en faire un triptyque, il restitue l’idée qu’elles ont vocation de se joindre, même si la vie les a disjointes. Ce sera désormais le motif qui va les relier, tout en leur laissant une certaine autonomie.
Sinon, l’artiste, comme d’habitude, affirme qu’il ne sait pas ce qu’il a voulu faire : les motifs se sont enchaînés, associés, compris entre eux. Il ne peut parler que de ses élans, de ses doutes, de ses difficultés, de son plaisir. Il ne sait donc rien du sens global de l’œuvre achevée, ou plutôt cette connaissance est intime et indicible. Le sens de l’œuvre est tout entier dans son existence. Et tout le reste est littérature…
Avec le danger que l’on connaît bien dans l’art contemporain : beaucoup trop d’œuvres mutiques, hermétiques, arrogantes, qu’un certain public fuit avec tristesse, et qu’un autre encense par snobisme.
Aucun danger de ce type avec les œuvres de Francis Piquot ! Elles se passent très bien de « littérature », mais elles ne la craignent pas ; d’ailleurs, elles ne sont pas hermétiques. Le fichier est parfois crypté, comme on dit en informatique, mais on peut être sûr qu’il existe, pour chacun, une clé de lecture.
(1) Les Planches courbes est le titre d'un recueil poétique d'Yves Bonnefoy
Douve de foudre (en triptyque), chêne, 75 x 52 cm, 2015. |
Témoignage :
« Francis tient à me montrer la dernière-née de ses œuvres. Il fait nuit, il fait froid dans l’atelier non chauffé, dont la porte est restée ouverte… L’éclairage est un peu chiche… Mais le triptyque, à peine entrevu, se présente immédiatement dans sa gloire ! Trois planches dressées, pas encore fixées, et cependant déjà tout fonctionne : les correspondances s’installent peu à peu.
Au premier regard, les indices chromatiques du panneau de gauche sont forts, mais restent énigmatiques ; l’œil se porte alors au centre, où un motif d’écailles (ou de plumes) est identifiable. Puis une forme courbe, plus ample, comme une aile – une aile d’ange, pas celle d’un oiseau –, décidément je vois des plumes, et non des écailles ! Enfin, sur le panneau de droite, la profondeur de champ augmente : partie de cadre (d’une fenêtre ?) et trou carré pour la suspension d’un tissu. Pour l’instant, je ne vois que des indices, mais je les transforme déjà en références qui pour moi font sens. Un retour sur le panneau de gauche confirme ce que j’ai déjà très envie d’y voir : en haut à gauche, un drapé blanchi (un rideau ?), et les deux formes rondes - très colorées-, un « œuf » (?) bleu et une boule rouge. Là, je craque et décide de dire ce que je vois : « une Annonciation ! »
Pour ceux qui n’auraient pas « suivi », je précise que, selon moi, les motifs rouge et bleu peuvent avoir deux sens : soit les couleurs des vêtements de la Vierge (dans beaucoup de tableaux : robe rouge et manteau bleu) ; soit la Vierge réduite à cet «œuf» bleu… et la sphère rouge pour le Saint Esprit (lequel est souvent représenté par une colombe, mais peut se réduire à un rayon lumineux). Je précise que les entailles dans le bord des planches confirment, à mes yeux, cette notion de communication mystérieuse entre la face visible du bas-relief et la face invisible (le verso), donc – pourquoi pas ? –, entre le monde terrestre et le monde céleste.
Francis sourit, sceptique et amusé. Le bon tour qu’il joue aux visiteurs avec ses douves de foudres, qui ont gardé des vertus dionysiaques, et qui font délirer… »
Ludovic Le Soutier
Merci à Ludovic pour ce petit texte halluciné ; j'aime bien la "lecture" proposée... Il faut admettre que, si le "calva" s'en est mêlé - ou son souvenir -, tout devenait possible, en effet. Il s'en passe, des choses, dans l'atelier de Francis Piquot !
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